Chirurgie pédiatrique ORL et recommandations pour la pratique professionnelle (RPP) "Organisation structurelle, matérielle et fonctionnelle des centres effectuant de l'anesthésie pédiatrique
Les récentes recommandations pour la pratique professionnelle (RPP) de la SFAR et de l’ADARPEF (Association des anesthésistes et réanimateurs pédiatriques d’expression francophone) (https://sfar.org/recommandations/) concernant «Organisation structurelle, matérielle et fonctionnelle des centres effectuant de l’anesthésie pédiatrique», publiées dans la foulée de arrêtés de décembre 2022 relatifs aux conditions d’implantation des actvités de soins de chirurgie, ont entraîné une vague de cessations des activités chirurgicales pédiatriques dans les cliniques privées, les centres hôpitaux généraux et les ESPIC (établissements de santé privés d’intérêt collectif). L’ORL pédiatrique est la spécialité la plus impactée. Mais quel est au juste l’impact de ces RPP et quelles actions pourraient contribuer à le limiter?
Pourquoi ces recommandations SFAR/ADARPEF?
Ces RPP avaient pour buts:
- de reprendre les textes officiels déjà parus sur le sujet mais encore mal connus ou mal appliqués: Article D. 712-43 du code de Santé Publique relatif aux conditions de fonctionnement relatives à la pratique de l’anesthésie; Recommandations concernant la surveillance des patients en cours d’anesthésie (SFAR 1994); SROS (schémas régionaux d’organisation des soins) 2004 concernant l’enfant et l’adolescent; Décret no 2022-1766 du 29 décembre 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement des activités de soins de chirurgie; Charte européenne de l’enfant hospitalisé de 1988
- de proposer de nouvelles recommandations tenant compte de publications montrant la plus grande morbidité des anesthésisgénérales pour chirurgie chez les enfants en bas âge. Ainsi, selon l’étude APRICOT, qui regroupait les données de 261 centres répartis dans 33 pays, les complications respiratoires sont particulièrement fréquentes et dangereuses chez les moins de 3 ans: 1,2% de laryngospasmes, 1,2 % de bronchospasmes, 0,7% de stridors post-extubation, 0,1% d’inhalations du contenu gastrique (Habre, Lancet Respir Med 2017; 5(5):412). La chirurgie ORL comporte un risque majoré de ce type de complications: 4% vs 2,5% pour les autres chirurgies. Les difficultés d’intubation, 10 fois plus fréquentes chez les moins d’un an que chez les enfants plus âgés, entraînent au moins une complication dans 20% des cas dont 2% d’arrêts cardiaques et 9% d’hypoxies sévères.
Quels sont les principaux éléments contenus dans ces RPP ?
1. Personnel anesthésique
1.1 Activité minimale recommandée pour les MAR (médecins-anesthésistes réanimateurs):
1/2 journée par semaine d’anesthésie pédiatrique; il n’y pas de nombre minimal de patients à endormir par demi-journée; il est possible de faire une journée d’anesthésie pédiatrique tous les 15 jours à la place d’une ½ journée par semaine
1.2 Formation initiale et continue des MAR
- Formation durant l’internat: 6 mois d’anesthésie pédiatrique dans 1 centre spécialisé dont 1 mois en soins critiques
- Formation continue dans le cadre de la certification périodique: pas de précisions sur le nombre d’actions de formations requises
1.3. Personnel d’anesthésie requis au bloc opératoire
1.3.1 En salle d’opération
- enfants de moins d’un an ou patients ASA 4 ou 5: présence en salle d’opération d’un médecin anesthésiste-réanimateur (MAR) expérimenté en pédiatrie et d’un infirmier anesthésiste diplômé d’état (IADE) avec activité pédiatrique régulière et exclusivement dédié à ce cas
- entre 1 à 3 ans, 2 modalités sont envisageables:
- présence en salle d’opération d’un MAR formé et avec activité régulière en pédiatrie et d’un IADE avec activité pédiatrique régulière et exclusivement dédié à ce cas
- un MAR formé et avec activité régulière en pédiatrie présent en salle d’opération et un second professionnel de l’anesthésie avec activité pédiatrique régulière préalablement identifié et immédiatement disponible au sein du bloc opératoire
- entre 3 et 10 ans, 2 organisations sont là aussi possibles:
- présence en salle d’opération d’un MAR formé et ayant une activité régulière en anesthésie pédiatrique et d’un second professionnel de l’anesthésie n’ayant pas nécessairement une activité régulière en anesthésie pédiatrique et exclusivement dédié à ce cas
- un MAR formé et avec activité régulière en pédiatrie présent en salle d’opération et un second professionnel de l’anesthésie avec activité pédiatrique régulière préalablement identifié et immédiatement disponible au sein du bloc
- après 10 ans, les recommandations rejoignent celles de l’adulte
1.3.2 En salle de réveil (SSPI)
- une infirmière (IDE, IADE, puéricultrice) formée au réveil pédiatrique; une seconde est conseillée si le réveil compte 6 lits pédiatriques ou plus
- un second professionnel paramédical doit être systématiquement présent
- si SSPI spécifiquement affectée à la pédiatrie: au moins 1 infirmière puéricultrice
- ce personnel paramédical travaille sous la direction d’1 MAR soit spécialement chargé de la SSPI, soit présent au bloc et en mesure d’intervenir sans délai
Ces recommandations concernant la formation des anesthésistes et le nombre de professionnels de l’anesthésie requis en salle d’opération et en salle de réveil ne concernent pas la prise en en charge des urgences en dehors des horaires habituels de fonctionnement de la structure.
2. Permanence des soins
Les RPP reprennent stricto sensu le SROS 2004 qui définit l’organisation de la permanence des soins des établissements selon leur niveau: centres de proximité, centres spécialisés ou centres de recours régional
3. Matériel
De nombreuses recommandations concernent le matériel spécifique à l’anesthésie pédiatrique. A titre d’exemple, concernant la gestion des voies aériennes, il est recommandé de disposer de lames de laryngoscopes de Miller droites (0,1,2) ou McIntosh courbes (1,2,3), de vidéolaryngoscopes, de dispositifs supraglottiques (masques laryngés surtout), de mandrins (Boussignac, Eschmann,…) de tailles adaptées à l’enfant.
4. Locaux
Dans ce domaine, il est recommandé que
- l’hospitalisation des enfants en pré- et en postopératoire (hospitalisation conventionnelle ou ambulatoire, soins critiques) s’effectue en secteur pédiatrique dédié
- la surveillance du réveil s’effectue dans une SSPI soit exclusivement soit dotée d’un secteur exclusivement pédiatrique (séparation par cloison, paravent,…)
- la consultation d’anesthésie se déroule dans un lieu dédié à la pédiatrie et doté d’un matériel adapté aux enfants (chaises, jeux,…)
Quel est l’impact de ces RPP sur l’activité de chirurgie ORL pédiatrique ?
Le CNP-ORL a diligenté à l’automne 2023 une enquête sous la forme d’un questionnaire adressé aux ORL français via les mailing-lists de la SFORL, du SNORL et du Comité des Assises d’ORL. 892 ORL ont répondu sur un total de 2441 ORL exerçant en France en 2023. L’analyse de ce sondage montre la réduction de l’offre de soins, surtout dans les centres de proximité, et confirme la difficulté d’organiser la prise en charge dans des délais raisonnables des enfants présentant des pathologies ORL essentiellement dans la tranche d’âge en dessous de 3 ans, âge de prédilection de cette pathologie chez l’enfant. Le nombre total d’enfants concerné est estimé entre 17836 et 37000 enfants selon les critères retenus, nécessitant une analyse complémentaire, mais soulignant d’ores et déjà un problème de santé publique majeur désorganisant la prise en charge d’enfants présentant soit des troubles obstructifs respiratoires, soit des problèmes d’oreille, pouvant impacter le développement de l’enfant, favoriser des formes sévères chroniques et des infections ORL et leurs complications.
Une autre enquête est en cours via le logiciel VISUCHIR, outil national de visualisation des activités chirurgicales mis en place par l’Assurance Maladie et l’ATIH (Agence technique de l’information sur l’hospitalisation), pour mieux évaluer l’impact des RPP SFAR / ADRPEF sur la chirurgie ORL pédiatrique.
Notons enfin que selon une enquête diligentée par la FHP-MCO, la branche Médecine, Chirurgie et Obstétrique de la Fédération de l’Hospitalisation Privée, de nombreux professionnels ont remis en cause totalement ou partiellement leurs pratiques chirurgicales pédiatriques dans un tiers des 200 établissements de santé privés qui ont répondu au sondage (https://www.fhpmco.fr/2024/03/18/actus-sante-du-13h-n-712-la-chirurgie-pediatrique-veut-prendre-son-temps/).
Cette réduction drastique de l’activité chirurgicale ORL pédiatrique dans les centres de proximité survient dans une période où les CHU de recours sont eux-mêmes en grande difficulté pour maintenir leur niveau d’activité, le manque de personnel paramédical et d’anesthésistes-réanimateurs entraînant de nombreuses fermetures de lits et de plages opératoires.
Pourquoi un tel impact ?
L’impact négatif de ces RPP sur l’activité chirurgicale ORL pédiatrique dans de nombreux établissements découle de l’inadaptation des organisations et des structures à des règles dont une bonne part avait pourtant été déjà définie dans de précédents textes (voir ci-dessus le paragraphe intitulé «Pourquoi ces recommandations SFAR/ADARPEF).
Il découle hélas également d’un effet d’aubaine. La chirurgie pédiatrique est peu rentable et elle fait peur. Ces RPP ont ainsi constitué pour certaines directions d’établissement ou pour certaines d’anesthésie un bon prétexte pour cesser cette activité. D’autant plus que ces RPP ont été publiées quelques semaines après des arrêtés relatifs aux conditions d’implantation des activités de soins de chirurgie, qui précisent les conditions pour la prise en charge en chirurgie pédiatrique avec une incidence sur l’organisation de toutes les spécialités chirurgicales pédiatriques.
Quelles actions sont menées pour diminuer l’impact des RPP ?
Afin de laisser plus de temps aux établissements de santé pour s’adapter aux RPP, la SFAR a décalé leur mise en application à la fin de l’année 2024. Cette mesure ne semble cependant avoir que peu d’effets positifs, notamment parce que, comme cela a été évoqué au paragraphe précédent, la motivation manque dans de nombreux établissements pour effectuer des ajustements lourds destinés à maintenir une activité à risques et peu rémunératrice.
La SFAR a par ailleurs mis à disposition sur son site internet un service appelé AVIPEDIA destiné à signaler des difficultés de fonctionnement liées aux RPP (https://sfar.org/contact-avipedia/). Les chirurgiens, notamment ORL, peuvent aussi utiliser ce service. Dès le signalement fait sur AVIPEDIA, des anesthésistes-réanimateurs référents de la SFAR entrent en contact avec les établissements concernés pour entreprendre une action de formation et d’information visant à maintenir en leur sein une activité chirurgicale pédiatrique
D’autres pistes ont été proposées conjointement par le CNP d’ORL et par le CNP d’anesthésie – réanimation dans un courrier commun adressé au Directeur du cabinet du Ministère de la santé et de la solidarité, en particulier :
- une contractualisation de la continuité des soins entre des centres de proximité et des centres de recours
- une valorisation financière des activités chirurgicales et anesthésiques pédiatriques.
Une action des autorités de tutelles sur le maintien d’une organisation territoriale du recours aux soins chirurgicaux pédiatriques
Notre CNP, ainsi que les CNP d’Anesthésie-Réanimation et ceux des autres spécialités chirurgicales, ont également pris de nombreux contacts, ensemble ou séparément, avec les Académies nationales de Médecine et de Chirurgie, avec des représentants de la DGOS, des ARS et de l’Ordre des Médecins, ainsi qu’avec des députés ou sénateurs. Pour l’instant, ces contacts n’ont guère été efficaces. Les nombreux changements de ministres récents ou à venir ne facilitent pas la continuité dans le dialogue et la construction de projets. Mais l’enjeu est tel que notre CNP poursuivra sans faiblir son effort : il en va de la sauvegarde du niveau de soins en chirurgie ORL pédiatrique et en dernier ressort, de la défense de la santé de nos enfants.
Plus de 10000 enfants resteront sourds et/ou apnéiques faute d’accès aux soins
Les travaux de mise en œuvre du décret du 29 décembre 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement des activités de soins de chirurgie pédiatrique et la publication dans le même temps d’une recommandation pour la pratique professionnelle en anesthésie pédiatrique de la Société Française d’Anesthésie Réanimation et Médecine Péri-Opératoire ont entraîné des désengagements des équipes effectuant la chirurgie ORL de l’enfant, essentiellement dans les centres de proximité, avec soit une diminution d’activité, soit un arrêt d’activité, sans possibilité de prise en charge de cette population en centre de recours (dont ce n’est pas la mission), ni en centre spécialisé à ce jour.
Les raisons des choix conduisant à ces arrêts d’activité sont variés, avec des difficultés de mise en place sur le terrain des critères d’organisation prônés dans cette recommandation, mais aussi des problèmes de la valorisation des actes pour les différents praticiens ou de priorisation de soins par certaines structures de soins au détriment de l’activité ORL pédiatrique.
Il s’agit d’un véritable problème de santé publique supplémentaire qui apparaît, avec une prévision plus de 10000 enfants par an non pris en charge dans les centres de proximité. La prise en charge des syndromes d’apnées obstructives du sommeil ou des pathologies otitiques avec surdité, sont retardés, avec retentissement sur le développement de l’enfant qui ne peut plus bénéficier d’une prise en charge adéquate. C’est un paradoxe quand on sait que les 1000 premiers jours de l’enfant sont fondamentaux, et que l’on laisse des enfants avec une surdité ou un syndrome d’apnée du sommeil durant cette même période….
Certes, un moratoire a été décidé dans l’application des recommandations jusqu’au mois juillet 2024 par la SFAR, moratoire non suivi, mais les choses vont très vite, trop vite.
Le CNP ORL et CCF a alerté les tutelles ministérielles en partenariat avec le CNP d’Anesthésie Réanimation sur le problème de santé publique majeur émargeant, et des travaux sont en cours avec le CNP de Chirurgie Pédiatrique et le CNP d’Urologie, tous deux concernés par ces recommandations. Le CNP de pédiatrie fait part de remontées inquiétantes des pédiatres.
Il est urgent d’agir par tous les moyens au travers des professionnels de santé, et des établissements de soins par l’intermédiaire de leurs tutelles pour stopper le détricotage du maillage territorial dans un premier temps, et réfléchir à un calendrier permettant l’application des mesures d’amélioration de la prise en charge de l’enfant, sans interférer, le temps de la mise en place, avec la qualité des soins pour les enfants.